Travailleurs détachés : Macron face à l’Europe de l’Est.Épisode III

Travailleurs détachés : Macron face à l’Europe de l’Est.Épisode III

La première tournée en Europe centrale d'Emmanuel Macron et sa rencontre avec le Premier ministre slovaque Robert Fico continue de faire des vagues, face notamment à la nouvelle loi travaille en France. Aujourd'hui c'est un compte rendu de nos confrères du journal « Libération », où il est rarement question des pays du V4 et de la Slovaquie en général, alors un compte-rendu de lecture s'imposait...

Le président français met la pression sur l'Union européenne pour durcir le projet de modification des règles sur le détachement des salariés. Isolé, il risque de froisser certains Etats membres, qui avaient déjà consenti à faire des efforts, précise l´auteur de l´article.

Sabre au clair, Emmanuel Macron a déboulé sur la scène européenne en juin en exigeant de rendre plus difficile le détachement de travailleurs dans l'Union. Le nouveau président a ainsi voulu marquer d'emblée que l'Europe était aussi un espace qui «protège», comme il l'a promis durant sa campagne. Mais il a pris tous ses partenaires de court alors même qu'ils se préparaient à adopter, de façon tout à fait inespérée, une révision de la directive de 1996 organisant le travail détaché, afin de mettre fin aux abus. Résultat : les pays d'Europe centrale et orientale, qui ont le plus à perdre dans cette réforme, se sont braqués. La tournée entamée à Salzbourg, en rencontrant les Premiers ministres autrichien, tchèque et slovaque, vise à réparer les pots cassés. Macron joue gros dans cette affaire, car le sujet est, en France, emblématique de l'absence d'Europe sociale. Le travailleur détaché est devenu l'enfant illégitime du fameux «plombier polonais» et de la «concurrence libre et non faussée» qui, en 2005, avait convaincu une bonne partie de la gauche de voter non au traité constitutionnel européen. Accusée d'organiser la concurrence de tous contre tous au profit des entreprises et au détriment des travailleurs, Bruxelles s'est retrouvé pendant la campagne présidentielle dans le viseur de presque tous les partis politiques français, Front national et France insoumise en tête.

La directive de 1996 organise-t-elle le dumping social ?

Le détachement des travailleurs est l'un des aspects de la libre prestation des services au sein de l'Union, l'une des quatre libertés fondamentales instituées par les traités (avec la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux). Il doit être distingué de l'établissement pour une longue durée d'un ressortissant européen pour y exercer sa profession, lequel dépendra alors entièrement du droit du pays d'accueil. Dans le cas de la libre prestation de services, il s'agit de fournir un service transfrontalier, ce qui nécessite parfois l'envoi temporaire d'un professionnel pour accomplir une mission déterminée : par exemple, un informaticien employé par une entreprise espagnole qui installe un système en Slovaquie ou un ingénieur nucléaire français qui construit une centrale en Finlande. Lors de ces missions, qui ne dépassent en moyenne pas les 4 mois (33 jours pour les détachements à partir de la France, de la Belgique ou du Luxembourg, 230 jours pour ceux d'Estonie ou de Hongrie), le salarié reste rattaché au droit de son pays d'origine (salaire, sécurité sociale, retraite, droit du travail). Le problème, c'est que le principe du pays d'origine a déséquilibré beaucoup de marchés du travail au profit de pays à bas coût de main-d'œuvre. C'est pourquoi l'Union a adopté en décembre 1996 une directive limitant la liberté de prestation de services en soumettant les prestataires à certains aspects de la législation locale, quelle que soit la durée de la mission : salaire minimal, durée du travail, congés payés, égalité homme-femme, santé, sécurité, hygiène… En clair, il s'agissait non pas d'organiser le dumping social, mais de le limiter.

Le détachement est-il adapté à l'Union à 28 ?

La directive de 1996 date d'une époque où l'Union ne comptait que quinze pays et où l'écart du salaire minimal allait d'un à trois. Personne n'a pensé aux effets des élargissements à l'Est, de 2004 à 2007 : si une période transitoire de sept ans a été prévue pour la libre circulation des travailleurs, rien de tel n'a été organisé pour le détachement des travailleurs. Or, une adaptation dans le temps aurait été nécessaire, le différentiel de salaire et de cotisations sociales entre l'Est et l'Ouest étant de 1 à 10… Il n'est donc pas surprenant que le nombre de travailleurs détachés soit passé de 600 000 en 2007 à 1,9 million en 2014 (200 000 personnes estimées en France). Des chiffres en trompe-l'œil, puisqu'ils ne représentent en fait que 0,4 % de l'emploi en équivalent temps plein. Mais ces salariés ont déstabilisé certains secteurs, comme l'agriculture ou l'abattage. Le problème posé par le détachement des travailleurs a été accru par l'accroissement massif des fraudes. Tout est possible : on trouve des entreprises détachantes qui retiennent sur la paie des salariés les indemnités de logement et de transport, d'autres qui pratiquent la non-déclaration, des sociétés boîtes aux lettres basées dans un pays à bas coût de main-d'œuvre, ou des agences d'intérim ne fournissant pas d'autres services que du personnel soi-disant détaché (de 949 en 2004 à 33 060 en 2012 en France)…

Emmanuel Macron peut-il obtenir ce qu'il veut ?

Lors du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement de juin, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont dit, lors d'une rencontre informelle, son fait à Emmanuel Macron. «Je me demande où Emmanuel Macron va trouver une majorité à la fois au Conseil des ministres et au Parlement européen, alors que les pays de l'Est étaient déjà réticents à la limite des 24 mois», s'interroge Elisabeth Morin-Chartier. Pour l'instant, il peut compter sur le soutien de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Belgique et du Luxembourg, ce qui est très peu. «Il y a urgence : la présidence estonienne du Conseil des ministres est prête à conclure sur la proposition de la Commission. A partir de janvier, c'est au tour de la Bulgarie qui, elle, ne veut rien entendre», met en garde Elisabeth Morin-Chartier.


Jean-Daniel Angibaud, Jean Quatremer „Libération" Foto: TASR

Živé vysielanie ??:??

Práve vysielame